sábado, 8 de noviembre de 2025

Le regard contemplatif dans la philosophie espagnole

María Zambrano à Madrid en 1932
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Dans «L’apparition du confins», extrait de son œuvre énigmatique et poétique De la Aurora (1986), María Zambrano écrit :

«L’apparition de l’Aurore unifie les sentiments, les transformant en sens (…) Comme il en va d’autres lieux inviolables de la pensée humaine (…) qu’il faudrait laisser naître avant tout, sans les arracher au lieu de leurs racines, sans les extraire de l’unique lieu sacré où ils doivent naître et vivre. Ils appartiendraient toujours à l’Aurore, ces pensées si élues, fruits de la pensée humaine (…) L’Aurore, en se retirant, annoncerait-elle peut-être la multiplicité des temps?»

Son livre se veut à la fois guide et confession, deux genres philosophiques de grande tradition en Espagne (Maïmonide et Miguel de Molinos):

«Le résultat auquel nous sommes parvenus dans ces brèves pages, qui voudraient être encore plus brèves, est que l’Aurore, qui ne nous a pas offert la possibilité d’être une connaissance proprement philosophique, une épistémè, nous impose inexorablement sa condition d’appartenir au monde du connaissable. Dès le premier moment où on la regarde, elle nous regarde à son tour, nous demandant, nous requérant, de la contempler comme la clé de la physis, du cosmos (…) Guide, donc, si par guide nous entendons l’apparition de quelque chose, un événement, une présence qui tire le sujet hors de lui-même, de la situation dans laquelle il est strictement prisonnier d’une ignorance qui est immobilité, et l’immobilité chez l’être humain est intranscendance. Se connaître, c’est se transcender.»

Et, suivant la voie du nouveau método zambraniano, je laisse ici le témoignage de mon expérience intime. Il demeure en moi le souvenir ineffaçable de l’importance que mes parents, dans leur profonde religiosité, accordaient à l’aube comme moment privilégié de la journée pour —disaient-ils— apprécier la beauté de la création divine et remercier de voir un nouveau jour.
«Demain, nous verrons l’aube», nous annonçaient-ils avec solennité et joie, lorsque, à l’occasion d’un événement particulier, nous devions nous lever avant le lever du jour pour quitter la maison.
«Regardez, enfants, le soleil va se lever! Regardez comme l’aube est belle!»
Cet impératif —«Regardez!»— était une expression très fréquente chez ma mère. Et c’est à Blas Zambrano, son père, que María dédie son premier livre, Horizonte del liberalismo (1930), avec ces mots: «À mon père. Parce qu’il m’a appris à regarder.»

La philosophe andalouse dit qu’apprendre à philosopher, c’est apprendre à regarder. Mais il ne s’agit pas d’un regard inquisitif ou interrogateur, mais d’un regard contemplatif, passif, qui se laisse captiver par la beauté ou le mystère de ce qu’il contemple, sans plus.
La guidance de mes parents suscita en nous une fervente révérence pour ce moment unique, magique, du passage de l’obscurité à la lumière; si bien que, fréquemment, et toujours durant nos séjours dans la maison de la montagne, nous décidions de «résister» —au sommeil, bien sûr: «Ce soir, nous allons résister pour voir l’aube», convenions-nous en secret.
Et lorsque nous parvenions à vaincre Hypnos, nous sortions à l’extérieur dès que la première clarté pointait à l’horizon, afin que l’arrivée du Soleil nous surprenne à découvert. Là, sans la protection du foyer, nous ressentions mieux le silence qui précède l’aube, la légère brise et le frisson de la rosée.

La philosophie a aussi, selon María, la nature d’une confession :
«Il semble à l’auteure de ces brèves confessions qu’un nouveau mode de raison —par exemple, la raison poétique— soit nécessaire. Un mode de raison dans lequel se rachète la passivité, la totale passivité, face à la connaissance et à ce qui la meut, et même la fait naître : l’amour. Une raison sans paradoxes, sans agonies, sans se ressembler à elle-même, presque sans jugement, mais non sans ordre ; et autant qu’elle serait une raison nouvelle, elle devrait être une vita nova (…) La vie des sens s’est peu à peu réduite à mesure que la raison occidentale s’est érigée (…) Ainsi, cette architecture qui uniformise tout, le mur lisse, jusqu’à faire disparaître toute courbe, toute cachette, tout auvent, où l’hirondelle, et surtout la colombe, ne trouvent plus leur place.
Il est des villes, sommets de la civilisation, qui, sans décréter l’extinction des colombes —de la colombe, Seigneur !— peinent par décrets, décrètent, avec force de loi, qu’on ne laisse en vie aucun nid, car la présence des nids enlaidit la ville propre (…) La connaissance invoquée ici demande que la raison devienne poétique sans cesser d’être raison, qu’elle accueille le “sentir originaire” sans contrainte (…) Ainsi l’Aurore nous apparaît comme la physis même de la raison poétique.»

Passivité, disponibilité, ouverture, face à l’avidité, au «désir de saisir» («Aller à la chasse aux concepts», écrit Zambrano).
«Le regard qui sort de la nuit —de celle de l’histoire aussi— possède une disponibilité pure et entière, car il n’y a en lui aucune ombre d’avidité. Il ne part pas en chasse. Il n’est pas trompé par le désir de “saisir”. La tyrannie du concept, qui soumet la liberté par l’appât de la connaissance.»

Si l’on y songe un instant, les propositions de Zambrano sont révolutionnaires: elles demandent de démolir notre édifice civilisationnel chancelant —laborieux, conquérant et pressé — pour le rebâtir sur d’autres fondations.

www.filosofiaylaicismo.blogspot.com

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